lundi 17 février 2014

Cyril LAUMONIER vous répond !

Nous vous avions proposé de poser vos questions à Cyril Laumonier (ici) traducteur, entre autre, des livres de Simone Elkeles. C'est le moment de découvrir ses réponses.

Nous remercions Cyril Laumonier d'avoir pris du temps pour répondre à toutes les questions. Nous remercions également Damonitaa (Julie) qui nous a servi d'intermédiaire, et bien sur, vous qui avez rendu ce post possible en posant des questions.

Allez voici les réponses que vous attendez !

*************
image.jpeg

Avant toute chose, je tenais à vous remercier, et plus particulièrement Julie, de me donner l’opportunité de revenir sur le travail de traduction, activité de l’ombre par excellence. J’espère que mes réponses sauront vous donner satisfaction.

- Combien de temps mettez- vous en général pour traduire un livre?
Pour des romans Young Adult comme Irrésistible Alchimie de Simone Elkeles, les maisons d’édition prévoient en moyenne un délai de trois mois pour la traduction. À cela s’ajoute une période nécessaire à la révision, d’abord par l’éditeur puis à nouveau par le traducteur, et la relecture des « épreuves » (c’est-à-dire le texte « maquetté », mis en page, avant tirage définitif par l’imprimeur).

- Pourquoi les VF sortent très très longtemps après les VO?
Plusieurs facteurs entrent en jeu, à commencer par les négociations autour des droits du livre. Dans les salons professionnels (comme à Francfort ou à Bologne pour la littérature jeunesse), les éditeurs de différents pays se rencontrent pour se présenter leurs catalogues, leurs sorties, et s’échanger, se vendre des titres. On appelle ça la « cession de droit » puisque l’on cède, moyennant finances, les droits d’exploitation d’un livre pour une langue particulière.
Parfois les éditeurs vont attendre de voir les résultats d’un livre dans son pays d’origine. Si le succès est au rendez-vous, on se lance. Dans le cas contraire, on peut hésiter à acheter les droits. Il arrive aussi qu’un éditeur fasse le pari d’un succès avant même la sortie d’un livre dans sa version originale (si l’auteur est connu, si ses précédents livres ont été des succès, si la presse ou la blogosphère s’y intéresse déjà).
Il faut également avoir à l’esprit la quantité incroyable de publications. Rien qu’en France, à la fameuse « rentrée littéraire » de 2013 (de mi-août à mi-octobre environ), on a publié 555 livres français et étrangers (http://www.lexpress.fr/culture/livre/rentree-litteraire-2013-et-les-auteurs-finalistes-sont_1282651.html). En 2012, on atteignait 646 titres publiés, dont 426 français et 220 étrangers (http://www.franceculture.fr/2012-08-30-rentree-litteraire-2012-la-selection-france-culture-le-nouvel-observateur). À l’échelle mondiale, il est alors évident que certains titres échappent au radar des éditeurs.
Enfin, l’édition est une véritable chaîne : il y a l’auteur, son agent, l’éditeur, le traducteur, le service de fabrication, le maquettiste, l’imprimeur, le distributeur… Si un des maillons est en retard ou défaillant, c’est toute la chaîne qui est fragilisée.

- Avec quel livre avez-vous eu le plus de plaisir à traduire? Le plus de mal?
Je me suis beaucoup amusé avec Un été à la morgue, de John C. Ford. Le héros, Christopher, aurait sans doute mérité une série montrant son évolution. Dernièrement, j’ai également travaillé sur la traduction du second volume du Pays des contes de Chris Colfer, pour le compte de Michel Lafon. Il s’agit d’un titre réjouissant, offrant une vision toute particulière des contes de fées. Avec de nombreux défis de traduction mais cela rend le travail d’autant plus enrichissant.
Je sais que les lectrices ont un faible pour la trilogie de Simone Elkeles articulée autour des frères Fuentes, dont j’ai traduit le premier tome, Irrésistible Alchimie, et le troisième,Irrésistible Fusion. J’ai éprouvé certaines difficultés avec le premier : il s’agissait de sentir et de trouver la voix des personnages et je butais sur les clichés à la fois américains et les clichés du genre. A contrario, les personnages de Wild Cards m’étaient d’emblée plus sympathiques, paraissaient plus riches, plus consistants.

- Qui décide du choix du titre pour la VF ? Car nous avons souvent du mal avec le choix du titre VF par rapport à la version originale (qui nous paraît plus logique par rapport à l'histoire du livre).
Le choix des titres est toujours une question épineuse. Il faut trouver une accroche qui plaira au marché de destination tout en respectant la volonté originale de l’auteur. Ce sera parfois un effort commun entre l’éditeur et le traducteur mais c’est de fait l’éditeur qui a le dernier mot à ce sujet.

- Avez-vous carte blanche pour la traduction ou l'auteur "vérifie" son travail final ?
Avant de réaliser l’intégralité de la traduction, on procède généralement à un test sur quelques pages pour s’assurer que le traducteur adopte un style adapté à celui de l’auteur. Le traducteur doit en effet avoir une capacité d’adaptation, d’interprétation au sens théâtral du terme. Il doit donner vie à un texte.
À partir de ce test, l’éditeur fait ses commentaires et ajuste la ligne éditoriale. Ensuite, le traducteur se doit de garder en tête ces remarques tout au long de la traduction. Personnellement, je n’ai encore jamais eu de retour d’auteur sur mes travaux mais cela arrive. Fait intéressant, alors que la question précédente portait sur les titres, il se trouve que j’ai récemment révisé les traductions des polars de Raymond Chandler. Publiées dans les années 40 et 50, les traductions arboraient des titres étonnants, très éloignées des originaux (Fais pas ta rosière pour The Little Sister ou Charades pour écroulés pour Playback). Or Chandler, qui parlait français, souligne dans sa correspondance qu’il ne comprend pas ces titres (Raymond Chandler, Lettres, Paris, 10/18, 1973, p. 255).  

- Êtes-vous en relation avec les auteurs lorsque vous réalisez la traduction ?
Non, je n’ai pas eu ce plaisir. Il faudrait que l’auteur maîtrise particulièrement le français pour intervenir directement sur la traduction ou que je butte de manière définitive sur une lecture pour demander son aide.
Ceci étant dit, je suis Heather Brewer (auteur des Chroniques de Vladimir Tod) sur Facebook. Elle travaille notamment à la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire et en dehors ; son combat me semble très utile (http://lessthanthreeconference.com/). Sinon, j’ai eu l’occasion de rencontrer Simone Elkeles en 2012 lors d’une matinée organisée par La Martinière. Une femme pleine d’énergie, douée de beaucoup d’humour.

- Est-ce plus facile/plus dur de traduire un livre que l'on apprécie et inversement si on ne l'aime pas?
J’imagine qu’il en est de même pour tous les projets : il me paraît plus simple de travailler sur une œuvre que l’on aime car on s’y investit pleinement, on est plongé dans un univers, on a envie de le partager. On sera d’ailleurs plus exigeant sur son propre travail.
Il peut aussi arriver d’apprécier un livre grâce à l’exercice de traduction, découvrir au fur et  à mesure la valeur d’un texte car on se penche sur les sens cachés, on trouve des indices que l’on n’avait pas nécessairement détectés à la première lecture.

- Lisez-vous intégralement le roman en VO avant d'entamer la traduction ?
Oui. C’est le B.A.-BA de ce métier. Il est évident que certains éléments de la fin d’une œuvre renvoient à des détails, des nuances du début. Le traducteur a pour devoir de ne surtout pas passer à côté.
De plus, si l’on a besoin d’une vision d’ensemble du récit pour comprendre toutes les implications de l’histoire, il en est de même pour saisir la « voix » des personnages : leur vécu, leur esprit, leurs idées, le contexte (social, culturel, économique) dans lequel ils évoluent.

- Recevez-vous des exigences particulières de la part des éditeurs/auteurs ?
Pas nécessairement. La littérature jeunesse est peut-être un cas particulier, pour lequel au moment de la traduction il est souvent question de rythme, notamment de l’anglais vers le français, ce passage alourdissant parfois le texte.

- Lorsqu'il y a des jeux de mots ou des rimes en VO, comment faites-vous pour les retranscrire en français?
On cherche. On se triture les méninges. On consulte beaucoup les dictionnaires de synonymes. Parfois, la solution miracle vient dans des moments improbables qui n’ont strictement rien à voir avec la traduction : dans le métro, à table, sous la douche… C’est un défi intéressant. Dans le deuxième tome du Pays des contes, un des personnages ne s’exprime qu’en rimes. J’y ai passé un certain temps mais cela apporte une vraie diversité au travail et c’est l’occasion de se montrer créatif.

- Pourquoi change-t-on parfois les prénoms des personnages ?
Cela dépend. On les changera s’ils ont un sens en anglais, autrement je n’en vois pas l’intérêt. Par exemple, dans la saga Pays des contes (j’y reviens souvent mais j’y suis attaché et le tome 2 est mon dernier travail en date),  « Evly » est devenue « Merhsante » sous la plume du traducteur du premier tome, Yan Brailowsky. Le choix est intéressant : en copiant la transformation d’un mot existant (« evil » et « méchante »), il renvoie effectivement à la notion du mal et donne une connotation médiévale qui colle très bien avec le contexte.

- Qui décide de supprimer des chapitres ou des paragraphes ?
L’éditeur décide de ce choix difficile. En jeunesse et YA, c’est une pratique répandue, dont je ne suis pas particulièrement adepte. Comme je l’évoquais précédemment, le fait est que l’on se retrouve souvent face à un problème de rythme lors de la traduction vers le français. Revient alors au traducteur de se montrer le plus concis possible, sans trahir l’original.
En littérature classique, le problème était courant il y a un demi-siècle. Or depuis les trente dernières années, on cherche justement à rétablir l’intégralité – et l’intégrité – des textes.Par exemple, depuis les années 90, André Markowicz a marqué l’histoire de la traduction française en retravaillant l’intégral des textes de Dostoïevski pour Actes Sud.

- Êtes-vous attiré par l'idée d'écrire votre propre roman, ou en retranscrire un, vous donne déjà cette impression?
Le travail de traduction remplit parfaitement mon besoin de création. Car il s’agit bel et bien de création. Il suffit de faire un comparatif de traductions d’un même texte pour s’apercevoir que d’une base commune, on peut produire des résultats très différents. En ce moment, on reparle beaucoup de Stefan Zweig, dont les œuvres sont tombées dans le domaine public en 2013. Ainsi, dans le dernier numéro deTranslittérature (n°46, http://www.translitterature.fr/), une revue sur la traduction, Emmanuèle Sandron propose un comparatif d’extraits de traduction par Alzir Hella et des nouvelles traductions parues en Pléiade. L’analyse est très parlante à ce sujet.

- En dehors de la traduction, avez-vous une passion pour la lecture? Un livre à nous recommander ?
Il me semble impossible de bien écrire sans lire. Dans la littérature, dans l’art, dans l’humain, tout est lié. Toute notion renvoie à une autre, tout style se définit par opposition ou, au contraire, dans la continuité d’un autre.
 Étonnamment, le goût de la lecture m’est arrivé tard, à l’âge de 17 ans, avec Yukio Mishima et ses Confessions d’un masque. D’une façon générale, je suis un grand amateur de Simone de Beauvoir : Une mort très douce et ses récits autobiographiques précédents sont un plaisir sans faille. Côté littérature italienne, Elsa Morante m’a transporté sur L’Îled’Arturo. Enfin, en jeunesse, Skellig de David Almond a ma préférence, de loin. Je devais avoir 12 ans quand je l’ai lu ; j’idéalisais cet être caché, marginal et désabusé, au fond duquel se battent l’immonde et la perfection.

14 commentaires:

  1. Waouh ! Je comprends mieux pourquoi j'adore Simone Elkeles. En fait c'est à Cyril Laumonier que je le dois...
    Super post merci !

    RépondreSupprimer
  2. Merci beaucoup pour cette interview.

    RépondreSupprimer
  3. Un grand merci pour ces réponses, elles sont très éclairantes et je regarderai différemment un livre traduit à présent ou du moins je serai plus attentive à la traduction ! Je trouve qu'on voit bien l'amour des mots à travers ces réponses !

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour cette interview passionnante, je suis contente d'y avoir participé!

    RépondreSupprimer
  5. whou j'ai adoré cette interview, excellente idée les filles, merci!

    RépondreSupprimer
  6. Un grand merci les filles <3

    RépondreSupprimer
  7. Un grand Merci à Cyril Laumonier pour tous ces éclaircissements ! Je ne doutais pas du travail que devaient fournir les traducteurs... Respect pour leur travail car ils contribuent au plaisir que nous prenons, pauvres lectrices VF que nous sommes, dans nos lectures :-)
    Bisous !!

    RépondreSupprimer
  8. Merci à tous les intervenants ainsi qu'à Cyril Laumonier pour cette superbe interview! C'est vraiment très intéressant et permet de mieux comprendre la complexité qu'engendre une traduction de roman. Encore merci!
    (en passant... très très bonne idée les interviews! ;)

    RépondreSupprimer
  9. Merci pout cette interview, très très intéressante !

    RépondreSupprimer
  10. Merci c'était vraiment intéressant! Merci beaucoup à Cyril d'avoir pris le temps de nous répondre!

    RépondreSupprimer
  11. Merci surtout à vous toutes et tous pour cette opportunité ! C'était un vrai plaisir.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci d'être passé nous voir et d'avoir joué le jeu avec autant de passion et de sincérité.
      Le plaisir est largement partagé.

      Supprimer
    2. vi tout pareil que coco ^_^

      Supprimer